Avec La petite dernière (The Little Sister), la réalisatrice Hafsia Herzi livre une œuvre déjà saluée comme un classique moderne. Le film, en compétition officielle à Cannes 2025, suit une adolescente franco-musulmane qui tente de concilier sa foi religieuse avec la découverte de son homosexualité — le tout avec une retenue bouleversante.
Le rôle principal est interprété par la débutante Nadia Melliti, remarquable dans le rôle de Fatima, une lycéenne des banlieues parisiennes. Fatima vit une foi islamique sincère mais sent naître en elle un désir pour les femmes — un tiraillement qui devient une véritable crise identitaire.
Lisez aussi : Kim Kardashian témoigne à Paris, dix ans après le braquage de la Fashion Week
Un film fort, nuancé et profondément humain
Entre foi et sexualité
Le film s’ouvre sur des scènes montrant Fatima en prière, accomplissant les rituels musulmans dans son hijab — une ancre visuelle dans son quotidien religieux. Cette foi entre rapidement en collision avec son trouble intérieur et son éveil sexuel. Herzi aborde le sujet avec une rare subtilité, évitant tout jugement ou condamnation de la religion.
Du désir discret à l’amour naissant
Fatima entame son exploration timidement — d’abord via une application de rencontres, puis à travers une rencontre inattendue avec Ingrid, une femme plus âgée qui l’initie à l’intimité lesbienne, non par l’acte, mais par l’écoute et la bienveillance. Une scène à la fois tendre, piquante et révélatrice.
Puis Fatima rencontre Ji-Na, une infirmière d’origine coréenne, et une relation authentique se développe entre elles. Leur histoire, pudique et vibrante, dépasse le simple enjeu sexuel : elle parle de reconnaissance, de compréhension et d’acceptation mutuelle.
Une nouvelle étape pour le cinéma queer français
Dans la lignée de La Vie d’Adèle
La petite dernière s’inscrit dans la tradition des grands films queer français comme La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche ou Une fille facile de Rebecca Zlotowski. Mais ici, la mise en scène se distingue par sa sobriété, sa complexité respectueuse et son humanité profonde.
Entre fidélité, émancipation et quête d’appartenance
Fatima se retrouve écartelée entre deux mondes — celui de sa famille et de sa foi, et celui de son identité naissante. Mais le film refuse tout manichéisme. Sa mère, interprétée par Amina Ben Mohamed, est aimante, fière et nuancée. Elle n’est pas une adversaire, mais une composante essentielle de l’identité complexe de Fatima.
Une scène tardive entre la mère et la fille laisse entrevoir une compréhension silencieuse, sans qu’aucun mot explicite ne soit échangé — preuve de l’intelligence émotionnelle du film.
Réalisation et jeu d’acteurs au service de l’intime
Hafsia Herzi, révélée dans La Graine et le Mulet, confirme ici sa maîtrise en tant que cinéaste. Avec le directeur de la photographie Jérémie Attard, elle développe un style naturaliste, proche du documentaire, qui fait la part belle aux gros plans tout en gardant une certaine pudeur. La musique d’Amine Bouhafa rythme le film avec délicatesse et émotion.
Nadia Melliti est une révélation. Elle incarne avec justesse les tensions intérieures de Fatima — entre honte, désir, loyauté et volonté d’émancipation — avec une puissance contenue et bouleversante.
Un film sur le courage d’être soi-même
La petite dernière est une œuvre rare : elle montre combien il peut être difficile de vivre en accord avec toutes les facettes de son identité — en tant que croyante, lesbienne, fille, être humain. Herzi ne cherche pas à offrir des réponses simples. Elle nous propose le portrait d’une jeune femme qui refuse de renier une part d’elle-même — et qui puise dans cette intégrité une force nouvelle.
La scène finale — un simple plan de Fatima en mouvement — résume toute la beauté du film : un moment plein d’ambiguïté, de mélancolie et d’espoir.
Cet article a été publié à l’origine sur : HollywoodReporter