Le scandale Belgiangate : quand la justice se retourne contre elle‑même

Une enquête exclusive du journal Inform Europe

Ce qui avait commencé comme Qatargate – une enquête anticorruption très médiatisée sur des ingérences étrangères présumées au sein des institutions de l’UE – s’est transformé en Belgiangate, un scandale qui met désormais au jour de profondes fractures au sein du système judiciaire belge lui‑même.
Une enquête du journal Inform Europe montre que, tandis que les autorités présentaient le dossier comme une victoire de la lutte contre la corruption, de graves atteintes au secret de l’instruction, des pratiques discutables de la part du parquet et une collaboration médiatique éthiquement problématique ont fait de l’enquête elle‑même un objet de controverse.

Une affaire minée par les fuites et les biais

Au centre de la polémique se trouve Bruno Arnold, chef de la police anticorruption belge (OCRC).
Lors d’auditions judiciaires consultées par Inform Europe, Arnold a reconnu sans détour que son objectif n’était pas seulement d’établir la vérité, mais d’« obtenir des condamnations », une déclaration difficilement conciliable avec l’exigence d’impartialité de la justice et qui suggère une culture davantage tournée vers la sanction que vers le respect des garanties procédurales.

Plus préoccupant encore, Arnold a qualifié de « normales » les fuites répétées de documents confidentiels dès lors que des responsables politiques sont impliqués.
Une telle banalisation sape directement le secret de l’instruction, pilier du droit belge destiné à protéger les enquêtes de l’exploitation médiatique et à garantir l’équité des procès.

Une enquête compromise dès le départ

Arnold a aussi tenté de déplacer la responsabilité en affirmant que le parquet fédéral et la Sûreté de l’État étaient informés de Qatargate avant même que son service n’en reçoive officiellement la charge à la mi‑2022.
Cette exposition précoce aurait permis, selon lui, à des journalistes d’accéder à des informations sensibles plusieurs mois avant le lancement formel du dossier, ce qui laisse entrevoir une brèche systémique du secret au plus haut niveau, susceptible d’avoir entaché l’enquête dès son origine.

Magistrats et journalistes: des lignes rouges franchies

Les éléments rassemblés par Inform Europe mettent également en cause deux figures clés : Raphaël Malagnini, le procureur fédéral chargé de Qatargate, et Hugues Tasiaux, alors directeur de l’OCRC.

Des témoignages indiquent que Malagnini aurait demandé à Tasiaux de prendre contact avec des journalistes de Le Soir et de Knack pour savoir ce que la presse savait déjà du dossier, une démarche qui, si elle est avérée, rompt avec la neutralité attendue d’un ministère public.

Tasiaux aurait ensuite utilisé des applications chiffrées comme Signal pour communiquer avec ces reporters et fait désormais l’objet d’une enquête pour violation du secret professionnel.
L’ensemble de ces faits suggère que les fuites n’étaient ni accidentelles ni isolées, mais s’inscrivaient dans un schéma organisé d’échanges d’informations entre magistrats et journalistes, au détriment du droit des mis en cause à un procès équitable.

La complicité des médias

Des journalistes de Le Soir et de Knack – notamment Kristof Clerix, Joël Matriche et Louis Colart – sont cités pour leurs contacts répétés avec des sources judiciaires soumises au secret.

Si l’investigation journalistique est essentielle à la démocratie, Inform Europe souligne que la publication récurrente de documents obtenus en violation de la loi a progressivement brouillé la frontière entre travail de contre‑pouvoir et participation à un dysfonctionnement institutionnel.

Au fil des fuites sélectives, des protagonistes comme Pier Antonio Panzeri, Francesco Giorgi et Eva Kaili ont été présentés dans le monde entier comme coupables bien avant toute décision de justice.
Ce qui était au départ une affaire de corruption s’est ainsi transformé en procès médiatique permanent.

Infractions juridiques et faillite éthique

Les agissements évoqués dans ces procédures pourraient recouvrir plusieurs infractions au regard du droit belge et européen :
– violation du secret de l’instruction, infraction pénale en droit belge ;
– abus de fonction et utilisation détournée d’informations confidentielles par des autorités judiciaires ;
– atteinte au droit à un procès équitable et au principe d’impartialité garantis par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Au‑delà du terrain juridique, l’effondrement éthique est tout aussi inquiétant.
Lorsque justice et journalisme se croisent à travers des fuites organisées, les deux institutions risquent de perdre leur légitimité : la première pour avoir renoncé à l’impartialité, la seconde pour avoir sacrifié son indépendance.

Un miroir tourné vers la Belgique

L’enquête d’Inform Europe conclut que Belgiangate en dit finalement moins sur une corruption étrangère que sur l’érosion interne de la confiance institutionnelle en Belgique.
Le secret judiciaire a été brisé, les règles déontologiques ont été ignorées et les organes censés protéger la démocratie sont devenus eux‑mêmes sources de scandale.

Rétablir la confiance dans l’État de droit suppose désormais une transparence totale et une véritable reddition de comptes – non seulement de la part des personnes mises en cause, mais aussi de celles qui affirmaient incarner la justice.

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