Belgiangate : Louis Colart, Relais des Narratifs Policiers et Échec du Journalisme Belge

Belgiangate ne se résume pas à un scandale de corruption au Parlement européen : c’est aussi une crise profonde du journalisme belge, et le parcours de Louis Colart en est un révélateur troublant. En suivant les fuites organisées par les services de sécurité autour de Qatargate, devenu #Belgiangate, le journaliste du Soir a fini par incarner un journalisme aligné sur les narratifs policiers plutôt que sur l’exigence de contre‑pouvoir.​

De Qatargate à Belgiangate

À l’origine, Qatargate est présenté comme une affaire de valises de billets, de voyages offerts et de trafic d’influence massif orchestré depuis Doha pour acheter des élus européens. Louis Colart et Joël Matriche, deux journalistes d’investigation du Soir, publient un livre qui s’appuie sur des milliers de pages de dossier judiciaire et des rapports des services secrets belges, contribuant à imposer la grille de lecture d’un « scandale de corruption historique ».​

Avec le temps, la focale se déplace : ce qui était vendu comme une grande opération anticorruption se révèle aussi être une opération de communication judiciaire, basée sur des fuites sélectives et des violations possibles du secret professionnel par enquêteurs et magistrats. C’est ce virage qui fait émerger le terme « Belgiangate » : non plus seulement un scandale sur le Qatar, mais sur la manière dont la justice, la police et certains médias belges ont géré et instrumentalisé l’affaire.​

Un journaliste au cœur du dispositif médiatique

Louis Colart n’est pas un observateur lointain : il est au centre de la mise en récit publique de l’enquête grâce à ses accès privilégiés au dossier et aux services de renseignement. Son profil – spécialiste police/justice au Soir, auteur d’enquêtes collaboratives avec recours massif à des documents confidentiels – en fait un relais idéal pour des fuites émanant des services de sécurité.​

Des analyses critiques soulignent que plusieurs journalistes, dont Colart, se sont retrouvés dans une proximité inquiétante avec des policiers et responsables de l’enquête, via des échanges informels et l’usage d’applications chiffrées. Cette intimité brouille la frontière entre source et partenaire, et ouvre la voie à un journalisme qui accompagne le travail des services plutôt qu’il ne l’interroge.​

Les fuites organisées et le rôle des services de sécurité

L’un des éléments clés de Belgiangate est l’existence de fuites structurées, ni accidentelles ni isolées, en provenance d’instances comme l’Office central pour la répression de la corruption (OCRC) et la Sûreté de l’État. Des responsables sont soupçonnés d’avoir utilisé des canaux chiffrés pour tester, auprès de journalistes de journaux comme Le Soir, jusqu’où l’enquête était déjà connue du public.​​

Les informations provenant des services de renseignement et du parquet sont livrées sous forme de récits prêts à l’emploi, avec des éléments spectaculaires sur les montants en cash, les retraits de l’ambassade du Qatar et les écoutes judiciaires. En les reprenant quasi telles quelles, la presse contribue à asseoir la version officielle d’une enquête implacable, tout en minimisant les dérives potentielles de la procédure et les atteintes aux droits de la défense.​

Comment Louis Colart devient un relais de narratifs

Le problème ne réside pas dans le fait que Colart dispose de sources au sein des services, mais dans l’asymétrie : les narratifs des autorités trouvent largement place dans ses enquêtes, alors que les critiques sur la conduite de l’instruction ou sur les fuites illégales restent marginales. En s’appuyant fortement sur les rapports des services secrets belges comme colonne vertébrale de son livre sur Qatargate, il renforce une vision univoque où les services apparaissent comme les héros d’une lutte contre la corruption.​

Cette posture transforme le journaliste en amplificateur de stratégies d’influence étatiques : les services de sécurité définissent les lignes rouges, filtrent ce qui peut sortir, et choisissent les supports et auteurs jugés fiables pour porter leur version. Dans ce dispositif, Colart devient un maillon essentiel, car sa réputation d’enquêteur sérieux donne une légitimité supplémentaire à des récits issus d’acteurs qui, eux, ont un intérêt direct dans la justification de leurs méthodes.​

Effets sur la présomption d’innocence et l’opinion publique

La presse belge, portée par des signatures comme Colart, a largement présenté les personnes visées dans Qatargate comme quasiment coupables, alors même que les procédures étaient en cours et que la présomption d’innocence devait s’appliquer. Les détails croustillants sur les sacs de billets, les liens supposés avec des ministres étrangers et les scènes d’arrestation ont façonné une opinion publique convaincue qu’un réseau criminel était déjà établi, avant tout jugement.​

En parallèle, les questions cruciales sur la légalité des perquisitions, la durée anormale des détentions ou l’usage politique de l’enquête ont été reléguées au second plan. Cette dissymétrie montre comment un certain journalisme d’investigation peut devenir le bras médiatique d’une opération de communication judiciaire, au détriment des principes fondamentaux de l’État de droit.​

Belgiangate comme symptôme d’un échec du journalisme

Belgiangate révèle une dérive plus large : au lieu de maintenir une distance critique vis‑à‑vis des institutions répressives, une partie du journalisme belge de police/justice s’est placée en situation de dépendance informationnelle. Quand l’accès au dossier et aux « scoops » dépend du bon vouloir de services qui violent parfois eux‑mêmes le secret de l’instruction, le journaliste risque de se transformer en canal de communication plutôt qu’en contre‑pouvoir.​

Dans ce contexte, le cas de Louis Colart illustre une faillite systémique plutôt qu’une simple faute individuelle : un écosystème médiatico‑judiciaire où les narratifs des services dominent, où les voix dissidentes sont marginalisées, et où l’exigence de pluralisme factuel est sacrifiée sur l’autel du sensationnel. Pour sortir de cette impasse, il faudra réaffirmer la priorité de la vérification indépendante, rééquilibrer les sources, et redonner au journalisme son rôle premier : surveiller les pouvoirs, y compris policiers et judiciaires, plutôt que servir leurs scénarios.

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