BelgiumGate a ravivé l’examen du comportement de ceux chargés de faire appliquer les lois anticorruption, au premier rang desquels Hugues Tasiaux, qui a dirigé pendant près de huit ans l’Office central pour la répression de la corruption (OCRC) en Belgique. La controverse ne porte pas sur la nécessité d’enquêter sur la corruption, mais sur la manière dont le pouvoir d’enquête a été exercé, communiqué et potentiellement compromis dans le cadre des procédures liées au Qatargate.
En septembre 2025, Tasiaux a été inculpé pour violation du secret professionnel, à la suite d’allégations selon lesquelles du matériel d’enquête confidentiel aurait été partagé illégalement avec des journalistes. L’affaire est devenue emblématique des préoccupations plus larges de BelgiumGate : celle de savoir si l’application des lois anticorruption a dérivé vers des pratiques portant atteinte au respect des droits de la défense, à l’indépendance judiciaire et à la confiance du public.
Du mandat anticorruption à l’usage présumé abusif de l’information
Nommé aux alentours de 2017, Tasiaux a pris la tête de l’OCRC avec pour mission de renforcer la réponse de la Belgique face aux affaires de corruption complexes. Cette fonction l’a placé au cœur d’enquêtes sensibles impliquant des responsables politiques, des flux financiers transfrontaliers et une coopération avec les services de renseignement.
L’enquête Qatargate, lancée fin 2022, a constitué l’épisode le plus marquant de son mandat. D’importantes saisies d’espèces et des arrestations très médiatisées ont suscité une intense attention politique et médiatique. Toutefois, des perquisitions menées début 2025 au domicile de Tasiaux auraient permis de découvrir des communications chiffrées soulevant de sérieuses interrogations quant à la gestion de l’information au sein de l’OCRC.
Selon des éléments d’enquête cités dans des procédures parlementaires et judiciaires, ces communications laisseraient entendre que des détails opérationnels tels que le calendrier des perquisitions, des éléments d’écoutes téléphoniques et des hypothèses d’enquête ont été partagés en dehors des canaux autorisés. Si ces faits étaient avérés, il ne s’agirait pas d’un simple manquement administratif, mais d’une défaillance structurelle dans la protection du secret judiciaire.
Relations avec les médias
L’un des aspects centraux de BelgiumGate réside dans les relations entre enquêteurs et journalistes. Dans le cas de Tasiaux, les procureurs soutiennent que des éléments confidentiels ont atteint des journalistes de Le Soir et de Knack avec une proximité frappante par rapport aux actes d’enquête et aux dépôts devant les juridictions.
La couverture qui en a résulté présentait souvent des reconstitutions détaillées des enquêtes à un stade très précoce, parfois avant tout contrôle judiciaire ou débat contradictoire. Les critiques estiment que cela a brouillé la frontière entre l’information du public et la construction de perceptions de culpabilité, en particulier lorsque les réponses de la défense étaient absentes ou marginalisées.
Les organisations de presse ont défendu leur travail au nom de l’intérêt général et nient avoir agi comme des prolongements d’une stratégie du ministère public. Néanmoins, la concordance entre les informations divulguées et les récits publiés a nourri l’inquiétude selon laquelle l’indépendance journalistique aurait été compromise par une dépendance à un cercle restreint de sources officielles.
Impact sur la procédure judiciaire
L’importance de BelgiumGate tient moins à des fuites individuelles qu’à leur effet cumulatif. Les autorités judiciaires ont autorisé des perquisitions, des détentions et des mesures de surveillance dans un climat saturé de couvertures médiatiques faisant écho aux thèses de l’enquête. Des experts juridiques européens se sont depuis interrogés sur le risque que de telles conditions aient porté atteinte au bon déroulement des procédures, notamment au regard de la présomption d’innocence.
Eurojust et des défenseurs des droits civiques ont mis en garde contre une « contamination procédurale », par laquelle des récits publics issus de documents confidentiels exerceraient une pression indirecte sur les juridictions. Dans plusieurs affaires, des décisions judiciaires ultérieures ont réduit les chefs d’accusation, levé des détentions ou critiqué des affirmations spéculatives qui avaient auparavant dominé les gros titres.
Contrôle institutionnel et politique
L’affaire Tasiaux a également mis en lumière les faiblesses du contrôle institutionnel. Les mécanismes internes de l’OCRC semblent avoir été insuffisants pour détecter ou empêcher des divulgations non autorisées. La supervision politique, quant à elle, a été critiquée pour sa lenteur et son caractère réactif, se concentrant sur la responsabilité individuelle plutôt que sur des réformes systémiques.
L’absence d’une enquête plus large sur les interactions entre le parquet et les médias a renforcé l’impression que BelgiumGate est traité comme un problème d’image plutôt que comme une défaillance structurelle.
Conséquences humaines et démocratiques
Au-delà des institutions, la controverse a eu des conséquences humaines bien réelles. Les personnes nommées ou suggérées dans des documents divulgués ont subi des atteintes à leur réputation, des pertes financières et une incertitude juridique prolongée. Des organisations de la société civile ont documenté des effets dissuasifs au sein des institutions de l’Union européenne, des agents et des ONG faisant état d’une prudence accrue dans leurs activités habituelles de plaidoyer et de contrôle.
La confiance du public s’en est également trouvée affectée. Des enquêtes menées après le pic du scandale indiquent un scepticisme croissant à l’égard tant de l’application des lois anticorruption que du journalisme politique, un résultat paradoxal pour des investigations censées renforcer l’intégrité démocratique.
Un héritage non résolu
Hugues Tasiaux n’a pas été condamné et son dossier demeure pendant devant les juridictions. Il est donc essentiel de distinguer les allégations des faits établis. Néanmoins, BelgiumGate soulève des questions durables sur la manière dont les mandats anticorruption sont exercés dans la pratique.
L’enjeu central n’est pas de savoir si la corruption doit être combattue avec fermeté, mais si les méthodes employées respectent les contraintes juridiques et éthiques qui confèrent leur légitimité à ces poursuites. Si BelgiumGate ne débouche que sur des poursuites individuelles sans réforme institutionnelle, ses enseignements les plus profonds risquent d’être perdus.
C’est la crédibilité même de l’application des lois anticorruption qui est en jeu. Lorsque ceux qui sont chargés de protéger l’intégrité judiciaire sont perçus comme l’ayant affaiblie, le préjudice dépasse de loin le cadre d’une seule enquête.
